Non, je vous le confirme, le solutionneur n’est pas d’essence divine. Ce n’est pas un deus ex machina qui sait par anticipation la solution qu’on attend de lui, qui survole le jeu avant même de l’avoir terminé, qui rédige quand le jeu est encore dans l’œuf, avant même que les concepteurs soient eux-mêmes conçus.
Les rédactions de solutions dépendent de plusieurs critères mais surtout pas de celui de la rapidité :
1) il faut arriver à terminer le jeu ce qui peut prendre un certain temps ; le solutionneur est un joueur comme un autre, ni plus doué, ni moins doué ; il lui arrive de ramer, d’être bloqué, d’avoir recours à des forums ou même à des solutions étrangères pour lever ses impasses.
Soyons clair : Qu’on n’imagine pas que le solutionneur dispose de la science infuse lui permettant de franchir les étapes les doigts dans le nez ou qu’il ait des relations suspectes avec les concepteurs ; ces difficultés il les rencontre comme tout un chacun ; lorsque donc, je dis consulter des solutions étrangères, cela ne peut s’entendre que dans un sens ponctuel, celui de débloquer une situation : je parle de rédaction de solution et non de traduction et encore moins de plagiat, ce qui n’est pas tout à fait la même chose et n’a sûrement pas le même impact ; il faut aussi admettre que si les joueurs consultent des solutions c’est parce que le jeu présente des difficultés.
1 bis) une bonne solution ne peut pas être une traduction ; le solutionneur doit découvrir le jeu et le comprendre et découvrir et comprendre ce qui risque de faire buter le joueur moyen qui viendra à sa rencontre ; ce type de démarche n’est pas uniquement instinctif ; j’en veux pour preuve que les joueurs ne rencontrent pas tous les mêmes difficultés aux mêmes endroits et que ce qui paraît difficile aux uns peut sembler facile à d’autres ; la réflexion sur la difficulté ou la simplification de la démarche la rendant évidente à quiconque se trouve coincé, prend du temps ;
2) il faut prendre le temps de rédiger un modus operandi qui soit compréhensible par tous ; je parle là encore de rédaction au sens noble du terme avec un recours à la phrase construite dans le respect de la syntaxe et de l’orthographe, dans le respect de la langue et du lecteur ;
3) il faut prendre son temps : pour ce qui me concerne je procède ainsi la plupart du temps : d'abord je joue le jeu et prends des notes ; ensuite je rejoue le jeu et je rédige et, croyez-le bien, il me faut autant de temps pour découvrir le jeu que pour produire un travail fini et satisfaisant, surtout si j'y inclus des images ; ce qui signifie que sur un jeu d'une durée de vie de 25 heures en moyenne, j'en passe 50 ;
4) il faut aussi de la disponibilité, ce qui n’est pas forcément évident lorsqu’on exerce une activité professionnelle ;
5) reste anecdotiquement, la question de la mise en ligne : personnellement et comme quelques autres vrais rédacteurs de solutions (je pense en particulier à Lochness dont la qualité des solutions est exemplaire), je ne dispose pas de mon propre site : mes solutions sont simplement hébergées sur des sites porteurs presque tous de qualité ; ce qui signifie que la mise en ligne n’est pas de mon fait et que si les webmasters font de leur mieux, tant en qualité qu’en célérité, il peut évidemment y avoir quelques accrocs.
A qui s’adressent ces solutions ? Essentiellement à deux catégories de personnes (qui parfois n’en font qu’une).
1. Les forums des sites officiels ne sont pas tous éphémères mais certains finissent par disparaître ; d’autres forums existent où, en se donnant la peine de chercher, on finit par trouver une réponse à la question qui nous a fait les consulter ; mais sur d’anciens jeux les recours s’amenuisent avec le temps et certains joueurs préfèrent posséder une solution dans leur dossier leur permettant d’y recourir au moindre blocage sans avoir à refaire une recherche sur l’Internet, ce qui parfois – convenons-en- ressemble à un parcours du combattant.
2. En dehors de cette catégorie des joueurs, il en existe une autre non négligeable pour laquelle le jeu vidéo d’aventure réflexion devient l’équivalent d’un roman, d’un livre d’images ou d’une bande dessinée ; pour eux ils ne s’agit pas à proprement parler de jouer mais d’effectuer un parcours romanesque en suivant une solution qui leur évite toute anicroche ou tout chausse-trappe. Ils pratiquent le jeu avec une solution qu’ils suivent de a à z, une attitude relativement plus active que de regarder un film puisque pour connaître les tenants et aboutissants de l’aventure leur intervention est nécessaire. Ils prennent une autre forme de plaisir à ‘jouer’ sous réserve qu’il y ait un scénario fort, un graphisme fin et une grande diversité d’énigmes que parfois ils se donnent la peine de résoudre par eux-mêmes. Certains conserveront cette démarche, d’autres franchiront le cap et deviendront des joueurs effectifs.
Si le lecteur souhaite une solution de qualité, celle-ci sera donc incompatible avec le facteur rapidité, ces deux termes étant selon moi antinomiques ; pour moi, un travail rapide demeure synonyme d’un travail bâclé. Je n’ignore pas les enjeux que présente pour un site, une première de n'importe quel ordre (news, tests, previews, soluces …), je sais aussi qu'il y a des solutionneurs qui se contentent de brouillons (pour être poli, mais sont-ce des solutionneurs ?) ; j’ai la prétention de ne pas en être et si l’on attend de la qualité, alors il faut laisser au rédacteur de solutions la liberté d’aller à son rythme.
Une autre remarque connexe, c’est que rarement le jeu dont on rédige une solution est gracieusement offert par les éditeurs. Si les testeurs possèdent cet avantage leur permettant de juger et d’analyser un jeu avant même sa sortie ou dans les premiers jours suivant celle-ci, le solutionneur lui n’a souvent d’autre ressource que de se le procurer par ses propres moyens et sur son budget personnel ce qui en ce qui concerne le jeu d’aventure réflexion peut se chiffrer aisément : une vingtaine de jeux par an au prix moyen d’une trentaine d’euros. Certes du point de vue du joueur (ou de l’éditeur), une solution trop rapidement donnée risque de tuer le jeu ; mais c’est oublier toute cette frange du public dont j’ai parlé plus haut qui achète le jeu pour pouvoir le suivre comme une partition romancée.
Ces réflexions sont sans prétention et ne risquent pas d’épuiser un sujet aussi controversé, mais elles veulent répondre à un certain nombre de questions qui m’ont été posées, peuvent permettre peut-être de mieux comprendre en quoi consiste ce rôle de solutionneurs et surtout souhaitent faire prendre conscience à d’aucuns que le jeu d’aventure réflexion puise son public dans une frange de la population qui en grande partie, s’étant mise devant un ordinateur sur le tard, n’a plus pour cette raison tout à fait 20 ans.
Reardon, Mars 2007
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