Les héros récurents
Cinq personnages sont les héros (ou les anti-héros) d'aventures multiples et ont fait la fortune de leurs auteurs. Ce sont dans l'ordre alphabétique :
· Gabriel Knight (de Jane Jensen) n'est apparu que dans 3 aventures chez Sierra, une quatrième en projet verra peut être le jour ;
· Larry Laffer (de Al Lowe) au cours des 6 et bientôt 7 épisodes de la série Leisure Suit Larry de chez Sierra également ;
· Tex Murphy créé par Chris Jones et Aaron Conners chez Access Software a hanté 5 aventures ;
· George Stobbart (de Charles Cecil) a lui aussi connu 3 aventures dans la série Broken Sword - Les Chevaliers de Baphomet de chez Revolution Software ;
· Guybrush Threepwood (de Ron Gilbert, Tim Schafer, Dave Grossman et Orson Scott Card, auteur des répliques dans les duels d'insultes) est apparu dans 4 épisodes de Monkey Islands produit par LucasArts. Un cinquième volet serait le bienvenu : voir la pétition en fin d'article.
C'est peu s'avancer que de dire que ces héros sont entrés dans la légende et resteront à jamais des références à côté de - tous supports confondus - Lara Croft, Batman ou Tintin.
Ils méritent donc ce petit hommage.
Gabriel Knight
Gabriel Knight constitue une série de jeux d'aventure produite par la Sierra Corporation dans les années 1990. Cette série est due à l'écrivain Jane Jensen qui travailla également sur King's Quest VI aux côtés de la non moins célèbre game designer Roberta Williams.
Gabriel Knight est présent dans 3 aventures : un quatrième épisode est annoncé.
Gabriel Knight 1: Sins of the Fathers - 1993
The Beast within - 1995
Gabriel Knight 3: Enigme en pays Cathare - 1999
Gabriel Knight 4 : Identity Crisis
Gabriel Knight qui réside à La Nouvelle Orléans, est un écrivain qui peut avoir dans les 25 ans et qui possède une boutique de vieux bouquins, St. George's Books, qu'il laisse en garde la plupart du temps à son amie Grace. De chasseur de scoops qui doivent lui servir de bases à ses romans, il va se transformer aux fils de ses aventures en chasseur d'ombre, en Schattenjäger.
Le premier épisode de la série Sins of the Fathers, les Péchés des Pères, se déroule par journées. Jeu non linéaire, la journée ne peut être achevée que lorsque tout ce qui la concerne a été découvert par le joueur. La série conservera ce principe en remplaçant les jours par des chapitres ou des périodes temporelles plus ou moins longues.
Dans Sins of the Fathers, nous suivons Gabriel Knight dans son quotidien entre la gestion de sa boutique de bouquiniste et sa tentative d'écrire un livre de mystère quand une série de crimes dont le rituel n'est pas sans rappeler le vaudou se déroule aux environs de la Saint Jean. Gabriel qui y voit un sujet pour son livre commence son enquête. C'est alors qu'il découvre que ses ancêtres lui ont laissé en héritage le don de Chasseur d'Ombres, de Schattenjäger (Celui qui traque les forces du mal) et qu'une antique malédiction plane sur sa famille depuis que l'un de ses ancêtres a failli à sa mission des siècles auparavant. La malédiction poursuit la famille de Gabriel depuis cette période et s'imbrique dans la vie de Gabriel par l'intrusion du tueur vaudou. La décision de Gabriel de choisir entre l'amour et le devoir fournit l'une des deux fins possibles.
Dans les deux épisodes qui suivent, Grace prend davantage d'étoffe et de gérante de magasin, elle prend le statut de véritable assistante de Gabriel.
The Beast within - Le second épisode se déroule un an plus tard. Gabriel Knight s'efforce en vain d'écrire son second roman. Le premier, basé sur les crimes vaudou, est devenu un best-seller et Gabriel s'est installé dans sa demeure ancestrale, le Schloss Ritter, situé en Bavière, à Rittersberg. Gabriel est un jour sollicité par les villageois pour enquêter sur ce qui semble être une agression due à un loup-garou. Grace le rejoint à Rittersberg pour l'assister dans son enquête et tour à tour le joueur aura à suivre l'un ou l'autre. Ensemble, ils mettent à jour le mythe du Loup Noir de Bavière, des soupçons de lycanthropie retombant sur Louis II de Bavière, liés à un opéra perdu de Wagner.
Gabriel Knight III- Blood of the Sacred, Blood of the Damned - Gabriel voyage en France pour enquêter sur une histoire de vampirisme affectant une famille de la noblesse et découvre qu'autour du trésor de Rennes-le-Château (Aude) se tisse tout un filet d'intrigues. Comme dans l'épisode précédent, Gabriel et Grace Nakimura devenue une spécialiste de la micro informatique - qui semble devenue plus qu'une secrétaire - ont tour à tour le premier rôle.
Mélange savamment dosé de fiction et de faits réels, progression dans l'évolution des personnages (relations évolutives entre Grace et Gabriel, par exemple), la série des Gabriel Knight peut être donnée comme un exemple de réussite tant au point de vue du scénario que du support. La musique de la série est due à Robert Holmes, le mari de Jane Jensen et elle contribue magnifiquement à créer l'ambiance.
Larry Laffer
Incontournable personnage de chez Sierra, le héros récurent de la série Leisure Suit Larry de Al Lowe débutée en 1987, Larry Laffer est l'exemple type de l'anti-héros qui hante 6 aventures numérotées de 1 à 7. Inutile de chercher la quatrième, elle n'existe pas. Par contre une 7ème qui portera le numéro 8 est en prévision.
Leisure Suit Larry 1: In the Land of the Lounge Lizards - 1987
Leisure Suit Larry 2: Larry Goes Looking for Love (In Several Wrong Places!) - 1988
Leisure Suit Larry 3: Passionate Patti in Pursuit of the Pulsating Pectorals! - 1989
Leisure Suit Larry 5: Passionate Patti Does a Little Undercover Work! - 1991
Leisure Suit Larry 6: Shape Up or Slip Out! - 1993
Leisure Suit Larry 7: Drague en Haute Mer - 1996
Leisure Suit Larry 8: Magna Cum Laude - 2004
Sur les disquettes manquantes,
Leisure Suit Larry 4: The Missing Floppies lire l'article inclus.
1. Introduction : la trilogie mère
2. Leisure Suit Larry 4 : les disquettes manquantes : interview d'Al Lowe
3. La suite des nombreux déboires et des quelques réussites de Larry
4. La véritable biographie de Larry, par Ralph Roberts & Al Lowe
5. Le livre noir (et rose) de Larry
6. Liens
Larry Laffer appartient à la classe moyenne et porte un costume blanc : Leisure Suit, un costume léger, de loisirs ou mieux de détente comme c'était la vogue dans les années 70. Il a un physique très quelconque et c'est surtout un dragueur impénitent auxquels les femmes réussissent mal : il aurait même tendance à incarner l'éternel perdant.
Sa méthode de drague est simple et répétitive : il accoste une jeune femme, se renseigne sur ses centres d'intérêt et ce qu'ils occasionnent comme insatisfaction, offre l'objet convoité, l'idée ou le moyen de combler le manque, espère en retour de la reconnaissance (ce qui pour lui signifie toujours coucher, mais ce qui pour ses partenaires peut avoir un tout autre sens).
Conçu initialement comme une trilogie, le succès de la série a contraint ses producteurs à envisager et écrire des suites. Leisure Suit Larry s'est vendu à 35 millions d'exemplaires tous jeux confondus : comment expliquer ce succès ? Simplement par le contexte : une Amérique protestante et puritaine où des états comme la Californie rêvent toujours d'interdire les jeux vidéo pour adultes - et LSL est plus que licencieux, il est parfois carrément vulgaire (une vulgarité tempérée par un humour débridé) ; de plus, son personnage a des côtés pervers ; et plus généralement c'est le type de jeux qui fascinait alors les garçons impubères et les préadolescents boutonneux déjà plus branchés informatique que leurs parents insoupçonneux.
Le parcours de Larry commence effectivement lorsqu'il découvre dans les toilettes d'un bar de nuit Chez Lefty un graffiti lui offrant quelque espérance. Les étapes de sa quête seront jalonnées de poupée gonflable et de préservatif plus que de conclusion réelle avec le beau sexe. Pourtant quand le jeu se termine, Larry a fini par obtenir les faveurs d'Eve.
Dans le second épisode Larry Goes Looking For Love (In Several Wrong Places), - Larry à la recherche de l'amour dans quelques mauvais lieux - notre héros est en train de tondre la pelouse d'Eve dont il squatte la maison lorsque la belle survenant malencontreusement le jette à la rue sans ménagement. Il participe à un jeu télévisé et gagne une croisière à laquelle il doit échapper ainsi qu'aux agents secrets lancés à sa poursuite comme lui-même est à la poursuite de la femme de ses rêves, qu'il découvrira sous les traits d'une indigène Kalalau. Célibataire endurci, il n'échappera cependant pas au mariage à la fin du jeu.
Le troisième épisode Passionate Patti in Pursuit of the Pulsating Pectorals est dès le début marqué par un retour au célibat : Larry est en plein divorce. Après de multiples essais, il finit par rencontrer Passionate Patti avec laquelle il file le parfait amour mais la jeune femme parle pendant son sommeil et Larry se méprenant sur le sens de ses paroles quitte la belle endormie. Passionate Patti à son réveil trouvant la couche vide part alors à la recherche de Larry, l'homme de sa vie.
Ainsi se termine la trilogie initiale.
Leisure Suit Larry 4: The Missing Floppies : les disquettes manquantes
Voici ce qu'en dit Al Lowe lui-même :
Voici en réalité pourquoi Leisure Suit Larry 5 suit Leisure Suit Larry 3. Si vous avez terminé Larry 3, vous savez que je me suis arrangé pour conclure tout ce qui était en suspens et puis j'ai tiré un grand trait. Je savais que c'était le dernier de la trilogie et je voulais que tout soit impeccable. C'est pourquoi j'ai organisé une sortie pour Larry. L'écran final montre Passionnate Patti en train de se faire bronzer au bord de Bass Lake tandis que Larry, nouvellement recruté par Sierra commence à programmer un jeu pour Ken Williams. Et c'est par l'allusion de Larry au Lefty's Bar où tout avait commencé que cette aventure devait se terminer.
Remettez vous dans le contexte de l'époque et souvenez-vous qu'aucun jeu n'avait jamais eu plus de trois épisodes. Ken et moi, nous n'avions eu aucune raison de penser que Larry puisse sortir de ce cadre. On s'est donc tous les deux attelés à rechercher des idées pour un autre projet. Et c'est comme ça qu'on a trouvé le concept d'inventer un jeu en utilisant l'Internet. Là , vous m'interrompez et vous me dites : "Eh ! Attendez voir un peu ! Cette idée là , c'est d'Al Gore, pas d'Al Lowe!" Faux ! Il s'en est fallu d'un poil ! On était si naïfs, si présomptueux - si aveugles ? - que quand Ken a proposé l'idée d'un jeu d'aventures où plusieurs joueurs pourraient interagir ensemble par le biais des modems, nous avons dit : "C'est sûrement une excellente idée, Ken !" Et on s'est réellement attelés à la réalisation de ce projet qui devait devenir Leisure Suit Larry 4, le premier jeu d'aventures multi joueurs en ligne.
Jeff Stephenson et Matthew George s'occuperaient des codes système et moi, de la conception et d'une partie de la programmation. On a choisi chacun un bureau, on a pris un pot de café et on a commencé le codage en janvier 1991.
On s'est alors posé quelques questions de base:
Comment les gens allaient-ils pouvoir se relier ?
Le seul moyen que nous connaissions était au moyen des modems commutés. Alors on a rempli un ordinateur de modems, puis on a acheté un châssis supplémentaire qu'on a aussi rempli de modems, puis on a branché un nouveau châssis et on a continué à les connecter. Pourrions-nous attendre les modems 2400-baud ? Nous avons choisi "d'exiger" une vitesse de 1200-baud minimum mais en recommandant la technologie la plus rapide existante alors, mais qui coûtait encore très très chère.
Comment manipuler les dossiers de graphiques nécessaires mais énormes ?
Facile. Nous projetions de vendre le jeu dans une boîte, mais il faudrait un modem. Le code du jeu, les graphiques, les sons, etc. seraient sur disquettes souples (pas de Cd-rom non plus à l'époque) et seules les données minima auraient à passer par la connexion.
Comment les joueurs décideraient-ils qui devait entrer dans leur jeu?
Je proposais le concept "d'une salle d'attente" dans laquelle séjourneraient les nouveaux venus jusqu'à ce qu'ils aient trouvé quelqu'un qui veuille jouer avec eux.
Comment s'identifier ?
J'ai créé ce qu'on a surnommé "Facemaker," qui vous permettait d'arranger votre avatar en choisissant parmi un stock d'yeux, de nez, de bouches et de cheveux, cela incluait la calvitie, évidemment.
Et alors ?
Au bout d'un mois à peu près, on a compris que ça n'allait pas être aussi simple. J'ai décidé d'écrire un contrôleur de jeu, un simple test, pour vérifier si on pouvait réellement déplacer des objets et communiquer. Ça marchait. Mais nous étions toujours loin de faire des personnages déplaçables, de communiquer et d'interagir les uns sur les autres. J'ai donc conçu un backgammon. Puis un jeu d'échecs. Nous n'avions toujours pas de système pour porter toutes les caractéristiques requises pour un jeu d'aventure. Mais on prenait tant de plaisir à jouer les uns contre les autres que nous avons décidé de regrouper ce que nous avions dans un vrai produit. Ken envisageait un produit d'une simplicité telle que même sa grand-mère pourrait l'utiliser. Cela devînt notre objectif. Mon épouse, Margaret, suggéra de le baptiser au départ Constant Companion : n'importe qui pouvait se connecter à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, et trouver quelqu'un pour jouer. Constant Companion est devenu The Sierra Network. TSN était une pure réussite à cette époque là , surtout si l'on considère le peu de joueurs qui disposaient d'un modem. (…)
Ainsi Larry 4, le jeu d'aventures en ligne en mode multi joueurs n'a jamais vu le jour. Alors pourquoi le suivant s'est-il appelé Larry 5 et non Larry 4 ? Pourquoi Larry 5 a-t-il succédé à Larry 3 ? Pourquoi Passionate Patti Does a Little Undercover Work! n'a-t-il pas pris le numéro 4 laissé vacant ?
Il y a plusieurs raisons à cela :
J'étais parti sur l'idée que la série formerait une trilogie. Ça me paraissait correct. J'étais assez content que les gens aient suffisamment apprécié Larry 2 pour pouvoir convaincre sans trop de problèmes Sierra qu'un troisième épisode serait tout aussi bien reçu. J'ai donc fait une fin avec Larry 3 : Larry et Patti étaient enfin ensemble; Larry racontait l'histoire de sa vie dans un jeu vidéo ; il semblait évident qu'ils allaient vivre heureux ensemble jusqu'à la fin de leurs jours...
Quand Larry 3 avait été en pleine conception, j'avais travaillé dessus des heures et des heures afin qu'il soit achevé pour la période des achats de vacances de la saison 1990. Je me suis épuisé ; j'en étais même fatigué de Larry. Quand des gens de chez Sierra me demandaient pour quand serait le prochain Larry, je leur répondais de façon dégoûtée : "Aucun Larry 4 n'est prévu ! Je m'arrête à trois."
Quand finalement nous avons cessé d'essayer de développer une aventure en ligne, j'ai proposé quelques idées amusantes pour un quatrième jeu, mais j'étais coincé par le début. Je n'arrivais pas à imaginer comment débuter l'histoire puisque j'avais laissé Larry et Patti filant le parfait amour. Comment les sortir de leur cage dorée ? La situation commençait à s'éterniser quand un jour, dans un vestiaire de Sierra, je tombe sur un employé que je n'avais pas vu depuis un moment. La première chose qu'il me dit alors c'est : " Alors, vous êtes sur quoi en ce moment, Al ? Larry 4? " Et moi très bêtement je lui réponds: " Ah, non! Larry 5 ! Evidemment que je travaille à Larry 4! " Un éclair m'illumina soudain. Et pourquoi pas? Qu'est-ce qui me contraint à respecter des règles ? J'en ai parlé un peu autour de moi. La réponse était pratiquement toujours la même : " Larry 5? Qu'est-ce qui est arrivé à Larry 4?! " C'était exactement ce que je voulais. J'étais maintenant complètement libéré des contraintes de la fin de Larry 3. Je pouvais faire commencer le jeu n'importe où. L'idée était perverse, stupide, évidente et s'intégrait parfaitement à la manière "Larry-esque". Elle résolvait le problème et interpellait les gens : ils repensaient au jeu en se demandant si ils avaient manqué quelque chose. Cela, mesdames et messieurs du jury, est toute la vérité sur ce qui arriva à Larry 4 ! Il n'y a jamais eu de Larry 4 et il n'y aura jamais de Larry 4. Estimez ce scoop à sa juste valeur!
Retour donc à ce quatrième épisode, Leisure Suit Larry 5 : Passionate Patti Does a Little Undercover Work!
au cours duquel Larry fait sa réapparition, chargé par une maison de production de films X de débusquer parmi trois lauréates, la présentatrice idéale d'un show télévisé sexy. Comme dans le précédent, le joueur incarne en alternance Patti qui enquête pour le FBI sur un réseau subversif implanté par la corruption.
Dans l'épisode suivant, Leisure Suit Larry 6 : Shape Up or Slip Out! Larry redevenu célibataire s'embarque dans un jeu télévisé qui lui permet de gagner un week-end dans un lieu de villégiature où la drague va occuper le plus clair de son temps.
L'épisode portant le numéro 7, Drague en Haute Mer, est un véritable ratissage : Larry fait une croisière dont l'objectif pour lui consiste à séduire le capitaine, une véritable bombe sexuelle objet de nombreuses convoitises mais pas si facile, car prime d'un concours, il faut sortir vainqueur de toute une série d'épreuves.
Le syndrome de Larry Laffer est congénital. Dans l'épisode 8, Magna Cum Laude, à venir, ce n'est plus Larry le personnage central, mais son neveu Larry Lovage, pathétique loser lui aussi, employé dans un lycée qui passe la majorité de son temps dans sa chambre ou sur le campus à regarder les filles passer. Lorsqu'un reality show se présente, il décide d'y participer et gagne. Il se jette alors dans une épique recherche de l'amour ou de ce qui y ressemble et découvre que les choses ne sont pas toujours en accord avec ce qu'on aurait voulu qu'elles soient.
La véritable biographie de Larry, par Ralph Roberts and Al Lowe (1997)
Nous avions décidé (bon, d'accord Al et Larry avaient décidé) que ce serait moi qui écrirais le chapitre introductif de cette édition, comme je l'avais d'ailleurs fait pour toutes les éditions antérieures. De la sorte, de merveilleuses choses pourraient être dites sur ces deux types sans qu'ils aient à en rougir (ce qui aurait pu se produire sans cette précaution). Ce qu'ils n'ont pas vu tout de suite, c'est que cela me laissait l'entière et merveilleuse liberté de les coincer et pas qu'un peu. Je vous laisse imaginer comment ils sont tombés de haut.
Oh oui-la vie est belle.
Cependant, tout homme a un prix et depuis que Larry m'a promis qu'il me laisserait feuilleter son petit livre noir … eh bien, pourquoi pas après tout ? D'autant qu'il m'a certifié qu'il me laisserait consulter des pages bien plus instructives que la dernière fois, des pages où ces dames n'ont pas filé à l'anglaise sans laisser d'adresse.
Bon, pendant que nous attendons que Al nous verse un petit pot-de-vin ... ah... allez, je vais vous parler de Leisure Suit Larry, de notre Larry avec son costume de détente - amoureux, aventurier, et encore tout plein d'autres choses !
Ceci est donc la première biographie complète de Larry. Oui, c'est vrai, on sera meilleurs que Kitty Kelly sur ce coup ! C'est cocasse, non - c'est comme si elle n'avait jamais rien fait. N'importe comment, elle peut faire ce qu'elle veut, elle pourrait même avoir les derniers instants de Sinatra et de Nancy Reagan, nous on a notre vieux copain Larry, et pour toujours.
Larry, Larry Laffer - voilà ta vie !
...Hé... Larry... Larry ? Hé, pleure pas, Larry.
Par la suite, nous aurons les intuitions d'Al Lowe lors de la création de Larry et, plus loin, quelques mots de Larry lui-même. Cependant, pour l'instant, revenons à cette biographie 'officielle' de Larry rédigée par les publicitaires des studios de Sierra On-Line dans les fascicules qui accompagnaient les deux premiers épisodes de Leisure Suit Larry et qu'on pourrait considérer comme des reliques. On en a retiré quelques éclaboussures...
La suite nous permettra de dater cette période de la vie de Larry qui va de sa naissance à sa première apparition dans une aventure. Voici donc le scoop inédit sur les premiers instants de la vie de Larry Laffer. Reste à l'écart de ça, enquêteur officiel !
Larry Laffer au moment où débute sa première aventure, Leisure Suit Larry in the Land of the Lounge Lizards, a 38 ans. Il vit chez sa mère depuis des années et selon toute vraisemblance, n'a jamais été autre chose qu'un fan d'informatique bien élevé. Ses lectures (en dehors des magazines planqués sous son matelas) sont des bouquins comme Vérifiez vos ports parallèles, Usage du Turbo Basic, ou The Unix Desktop Guide to Emacs. C'est le premier qu'il préfère, celui qui parle du Turbo Basic.
Larry donc à cette époque était un célibataire endurci : les femmes viscéralement, le terrifiaient. Obtenir un rendez-vous d'une jolie femme faisait autant partie de ses possibilités que d'aller se promener sur la lune avec rien d'autre qu'une paire de Reboks. Il passait donc ses soirées du vendredi et du samedi terré chez lui, jouait sur son micro et écoutait les disques de Barry Manilow, Air Supply et Boxcar Willie qu'il possédait pratiquement tous. Si vous lui aviez demandé qui selon lui était le plus grand chanteur de tous les temps, il aurait longtemps hésité entre Manilow et Slim Whitman bien que dans un petit coin de son coeur, il eut gardé une place pour Elvis. Y a quelque chose dans ces costumes blancs que portait le King qui n'est pas sans rappeler Larry.
Ne vous fiez pas à la petite taille qu'il semble avoir sur vos écrans. Dans la réalité, Larry mesure cinq pieds, dix inches (en moyenne). La raie de ses cheveux commençait déjà à prendre ses aises et, plus grave, son front remontait chaque jour un peu plus. Son ventre aussi commençait déjà à prendre de l'avance sur sa poitrine. Il portait généralement des chandails pour aller travailler et chaque jour il arborait une pochette différente.
Chaque matin, il mettait soigneusement trois stylos feutre de couleur : rouge, vert, noir dans sa poche de poitrine ainsi qu'un stylo à bille bleu, un critérium à mine grasse et l'une de ces petites règles en métal indiquant les inches d'un côté et les centimètres de l'autre. Il n'utilisait jamais aucun de ces objets, mais sans eux il se serait senti nu.
La vie de Larry, réglée comme du papier musique, a toujours été à peu près la même pendant toutes ses années d'études. Il est allé au lycée, a obtenu un diplôme d'informatique et a toujours fait les allers et retours. Ça lui est revenu moins cher mais il est passé à -côté d'un tas de choses. Il n'a jamais bien saisi le sens de mixte. Il n'était même pas sûr de savoir l'écrire.
Sa mère lui préparait toujours le même déjeuner à emporter. Deux sandwichs, une pomme ou une banane (jamais les deux ensemble) et une petite tasse de pudding (chocolat ou vanille en alternance). Le jour qu'il préférait, c'était le jeudi car ce jour-là , Larry avait droit à du jambon. Peut-être, n'est-ce là qu'une indication mineure sur le développement ultérieur de Larry ?
Il prenait le sac de papier brun qui contenait son déjeuner, se dirigeait vers sa coccinelle Volkswagen, modèle 1970, couleur rouille et partait pour son travail. Tous les matins, il répétait les mêmes gestes. Il ne changeait jamais d'itinéraire et marquait toujours très consciencieusement le stop à l'intersection d'Elm Street et d'Oak Street - bien qu'il y eut de la visibilité sur six kilomètres des deux côtés et qu'il n'y passât jamais personne.
Avant de se pencher sur son goût du risque devenu légendaire, Larry travaillait pour une petite société de matériel high-tech qui produisait une gamme de machines commandées par intelligence artificielle. Les supérieurs de Larry, récemment interrogés, ont tous déclaré qu'ils auraient souhaité pouvoir lui donner une parcelle de cette intelligence artificielle. Cependant, ils sont tous également convenus que Larry était minutieux ('enculeur de mouches' fut le terme le plus souvent employé) et que cette méticulosité pouvait le retenir des heures durant devant une tâche jusqu'à ce qu'elle fut parfaitement réussie. S'il avait eu à concevoir des structures de base de données ou à faire le point dans des jeux d'aventure, c'aurait pu être excellent pour lui.
Larry arrivait toujours au travail à la même heure, jamais en avance, jamais en retard. Il franchissait la porte du bureau des programmeurs à 8 heures précises et gagnait son box. Vous avez remarqué sa curieuse façon de marcher ? Eh bien, ses collègues de travail l'avaient aussi remarquée. Tous les matins, il se rendait cattywompus dans son coin (pour une définition de cattywompus, un bon vieux mot du Missouri, utilisez les touches Haut, Bas, fin de votre clavier pendant que Larry se déplace sur l'écran, et vous aurez l'idée exacte de la façon dont Larry gagnait son espace de travail).
Il déposait son sac de papier brun dans le tiroir inférieur droit de son bureau, allumait son ordinateur et se mettait au travail. Il ne relevait pas la tête avant 10h : il sortait alors la pomme (ou la banane) de son sac et s'accordait une pause d'exactement quinze minutes, mangeait la pomme ou la banane et buvait l'unique tasse de café que la société offrait à son personnel.
Dans ce même local, il prenait également 30 minutes pour déjeuner. Il mastiquait soigneusement ses deux sandwichs et son pudding à la vanille ou au chocolat. Juste avant de commencer, il achetait toujours la même boisson sans alcool (TAB) dans le même distributeur adossé au mur. Le jeudi, quand il savourait le jambon, un léger sourire éclairait parfois son visage.
Quoi qu'il en soit, Larry était bien accepté par ses collègues : il aurait pu rester avec eux autant qu'il le voulait. Personne ne s'occupait de lui. Surtout parce que personne n'avait remarqué sa présence.
Son patron l'appréciait également beaucoup : il pouvait fanfaronner devant Larry pendant des heures. Son frère dont il parlait constamment, était dans le business des jeux pour ordinateurs et se faisait des couilles en or.
Larry se contentait de hocher la tête, continuait à travailler et ne demandait qu'à pouvoir prendre son repas à l'heure. Pour lui, jamais rien ne changeait. En fait, Larry Laffer était chiant comme la pluie. Et même lui en était conscient ! Il savait que la vie qu'il avait ne menait nulle part. Elle passait, tout bêtement, sans intérêt, sans surprise. En fait, en matière de distraction, il ne connaissait rien à rien.
En dehors des rubriques salaces qu'il lisait tard dans la nuit dans les magazines osés qu'il cachait dans sa chambre, Larry n'était même pas certain de ce qui lui manquait. Tout qu'il savait, c'était que la révolution sexuelle avait dû se produire sans lui - il n'avait même jamais remarqué les bureaux recruteurs. Larry n'avait jamais cherché à fuir quoi que ce soit - il se contentait de s'inscrire dans la durée.
Sexe ? Amour ? Etait-ce la même chose ? Etait-ce différent ? Pouvait-on connaître l'un sans l'autre? Toutes ces questions, Larry se les posait désespérément.
Sa frustration se trouvait encore renforcée lorsqu'il observait ses collègues pendant les pauses. Les hommes mariés rentraient chez eux le soir pour retrouver leurs épouses et revenaient le matin avec toutes sortes d'histoires glorifiant la vie conjugale. Ceux qui étaient célibataires ou divorcés en racontaient d'autres qui faisaient l'apologie de rencontres conquises dans des bars. Larry les écoutait, assis tout seul dans son coin et avait l'impression d'être un loser, un perdant malheureux et solitaire. Ce que, très précisément, il était.
Il ne lui vînt jamais à l'esprit que ces types pouvaient exagérer un tout petit peu : aimer dehors et dehors mentir. Il pensait que chaque sortie conduisait inévitablement au même résultat : culotte, culotte. Ses rêvasseries érotiques se modifièrent en commençant par l'inclure. Et dans le rôle vedette, en plus - et plus seulement comme second couteau ou simple figurant.
Son travail finit par s'en ressentir : des bugs commencèrent à infester ses programmes. Forcément, il ne pouvait pas rester concentré et rêvasser en même temps. Le tiroir de son bureau en fut même contaminé : il le découvrit le lendemain quand il s'aperçut qu'il y avait oublié son déjeuner et que son poulet, salade et mayonnaise y avait passé la nuit.
Il grilla le stop à l'intersection d'Elm et d'Oak. Et pour une fois, il y avait de la circulation ! Un flic que la Volkswagen rouge de Larry avait manqué de peu, lui colla une amende avec délectation.
Larry se mit à s'intéresser davantage à ses collègues féminines et à fréquenter le centre commercial le samedi après-midi. Le samedi, toutes les femmes se donnent rendez-vous au centre commercial : il pouvait les regarder s'agiter, se bousculer, se trémousser, et vivre ses fantasmes. Dans ceux-ci, toutes ces magnifiques petites poulettes littéralement subjuguées par son charisme ne pouvaient s'empêcher de le toucher. C'était super ! Mais, dans la réalité, dans la réalité du centre commercial, il n'osait pas en aborder une seule. Il n'en était que plus malheureux. La nuit, un désespoir silencieux le submergeait : il sanglotait dans son oreiller en le martelant du poing. Il répétait à voix basse : "Je suis l'homme le plus malheureux du monde". Pour sûr, ça n'avait rien de drôle. Vraiment rien.
Il était si déprimé qu'il ne commanda même pas le coffret contenant les six meilleurs titres de Wayne Newton qu'offrait la TV câblée. Il ne s'arrêtait même plus chez le disquaire pour voir si un nouvel album de Barry Manilow ou une bande à 8 pistes étaient sortis. La Volkswagen de Larry était encore équipée d'un magnéto 8 pistes et il attendait pour le changer de savoir si les cassettes avaient de l'avenir. Les Cd-rom ? Il n'en avait jamais entendu parler. Et puis, les titres de Manilow qu'il préférait n'étaient que sur 8 pistes et certains étaient même en quadriphonie !
La maman de Larry fut la première - et hélas la seule - à remarquer les changements qui s'étaient opérés en lui. Elle ne savait cependant pas comment les interpréter. Larry de toute façon n'avait jamais été un enfant facile. Elle l'avait mis au monde, avait guidé son enfance, l'avait amené à l'âge adulte et maintenant à ce qui de toute évidence semblait être sa seconde enfance, ou plutôt pour être exact sa seconde puberté.
Tout ce dont elle était sûre, c'était que Larry traversait une mauvaise passe, allongé sur son lit, la porte fermée à clé et sa chaîne hurlant ces maudits airs des années 70. Pourquoi n'aimait-il pas la heavy metal comme n'importe quel gamin normal ? Ça, plus le fait qu'elle trouvait encore sous son lit des magazines comme le National Geographic (surtout ceux avec des négresses aux seins nus) la rendait très perplexe. C'était frustrant en diable pour la maman de Larry. Elle en avait de toute façon assez de lui. Après tous ces sacrifices, et son papa absent toutes ces années durant, le temps était venu de vivre un peu pour elle. Elle pouvait encore plaire.
Les résultats de Larry connurent une telle dégringolade que son agence décida de se passer de ses services. Ainsi, tragique coïncidence, Larry fut mis à la porte le jour où il découvrit que sa maison avait été vendue. En rentrant, il trouva un message de sa maman. Elle lui souhaitait sèchement bonne chance et lui expliquait qu'elle s'était achetée un simple condominium en Floride du sud. Elle ne laissait aucune adresse.
"Vous n'allez pas laisser votre tas de ferraille ici, " dit l'agent immobilier, ramenant Larry à la réalité. Il la regarda un instant déconcerté ; elle était appuyée sur une flamboyante voiture de sport rouge. "Ce n'est plus votre maison maintenant, guignol," expliqua-t-elle gentiment. "Alors, tirez-vous." Ce fut l'un des moments les plus sombres et les plus tragiques de la vie de Larry.
Il arrive un moment dans la vie où les hommes doivent décider d'affronter leur destin. Ce moment était arrivé pour Larry Laffer. Sa mère ne s'était pas contentée de fuir la maison, elle l'avait vendue dans son dos ! Il n'avait plus de travail et aucune perspective d'en retrouver un. Il était temps de tirer un trait sur tout ça. Il fallait remettre les compteurs à zéro ; il allait faire tout ce qu'il n'avait jamais fait jusque là et en particulier se mettre en chasse : les nanas n'avaient qu'à bien se tenir, il savait où aller, ouais, et sans hésiter cap sur l'ouest, sur Lost Wages, la capitale des péchés.
Larry, sous l'oeil vigilant de l'agent immobilier, rassembla ses maigres biens dans la Volkswagen. En fait il n'y avait pas grand-chose. Sa mère avait déjà emporté ce qui avait un peu de valeur, la chaîne stéréo et l'ordinateur. Il lui restait quelques livres d'informatique et quelques magazines et, bien sûr, sa collection de Barry Manilow.
Il se mit au volant, poussa un soupir aussi triste que déterminé, puis s'éloigna. Il passa par Elm, il se dirigeait vers le centre ville. Une nouvelle vie s'ouvrait à lui, il était le type parfait pour la situation. Trop cool : la chasse aux poulettes était ouverte.
Il hocha la tête. Ouais, la vie est belle. Pourtant, il avait dû y avoir pas mal de changements en 20 ans. Tant que ça ? Bof. Il était prêt à parier que les Beatles étaient toujours ensemble. Tout ce qu'il lui fallait, c'était un peu de fraîche, juste assez pour montrer qu'il était cool. Il était sûr que cela suffirait pour que les filles se pendent à son cou. Il rayonnait de confiance en se garant devant la boutique du prêteur sur gages d'Uptown-Downtown, dont l'enseigne indiquait Epicerie fine et Night Fever Polyester Plaza, un magasin minable et crasseux, même pour lui.
Larry entra dans la boutique et posa tout son bien sur le comptoir. "Vous avez décidé de me faire replonger en enfance, mon petit gars, " commenta l'épicier d'un air dégoûté en faisant glisser un tronçon de cigare éteint d'un coin de sa bouche à l'autre, puis en l'agitant négligemment au-dessus de la pile de disques.
"Y a rien que du bon dans tout ça," dit Larry plein de confiance. "Le top du top. Du Manilow, en un mot. Très chaud, mec, très chaud."
Vous avez une idée du type de fringues que vous pouvez échanger contre la collection complète de Barry Manilow ? Bon, l'épicier était trop heureux de faire une affaire : il avait un costume de détente, en polyester blanc, suspendu là depuis 1973. Se sentant juste ce qu'il faut un tout petit peu coupable, il rajouta pour faire bon poids une véritable chaîne plaquée or en toc, un bon cadeau pour le Disco On Fire Health Club et Dance Spa qu'il avait eu gratuitement quelque part et une mauvaise paire de chaussures à talonnettes très usée.
Larry se changea dans les toilettes et sortit transformé : c'était un homme neuf, méconnaissable, un type cool, à l'air dégagé, à la démarche souple, le grand, le seul, l'unique Leisure Suit Larry qui n'avait plus rien à voir avec Larry Laffer, le pathétique loser !
Il descendit en bas de la rue et entra au club Santé et bodybuilding où il resta un quart d'heure, fit une rapide visite au salon de coiffure pour se faire faire une coupe bouffante "Fièvre du samedi soir" - ne rien négliger quand on part draguer - et en voiture lisette, c'était parti !
"Tournez-vous par ici, mes rusées petites poulettes," se dit Larry, en suivant le trottoir pour regagner sa voiture. Il n'y avait pas une nana à proximité, rusée ou non, mais cela n'empêchait pas Larry d'essayer quelques mouvements cool, tout à fait à la manière de John Travolta dans son film disco préféré. Eh ! Travolta portait bien un costume blanc, non ? Et que dites-vous de ce vieil Elvis, ouais, le King lui-même ! Ah, qu'il aurait aimé être la synthèse de ces deux matous affranchis, un danseur qui puisse chanter. "Stayin' alive, stayin' alive," chantait-il en faisant un tour complet sur lui-même en arrivant devant sa Volkswagen.
Le fait que les jeunes d'aujourd'hui puissent ignorer qui était Travolta et même Elvis, Larry s'en fichait. Après tout, ces deux-là étaient des légendes contemporaines. Presque aussi haut, dans les annales de tous les temps que Barry Manilow et Slim Whitman qui y figuraient déjà . Sans parler de Perry Como !
Une jeune femme qui faisait son jogging ignora superbement Larry après avoir jeté un unique coup d'œil surpris et incrédule sur son costume blanc. "Merci," dit Larry dans sa meilleure imitation d'Elvis qui était loin d'être excellente. "Merci beaucoup." Il aurait aimé avoir un mouchoir imbibé de sueur ou n'importe quoi d'autre à lui jeter. Ça avait toujours marché avec Elvis. Il aurait dû apprendre comment transpirer comme Elvis. Yeah !
Il monta dans sa Coccinelle et démarra. Prochain arrêt : Lost Wages ! Regardez par ici, superbes nanas du monde entier, Leisure Suit Larry est en chasse ! Prenez un ticket, attendez votre tour. Merci. Merci beaucoup. "Stayin' alive, stayin' alive " chantait Larry en se dirigeant vers Lost Wages.
Lost Wages, Nevada, ressemble la nuit à un énorme dinosaure de néon constitué de 6.000 acres de rondelles de métal électrifiées. C'est ce qui sauta aux yeux de Larry Laffer pendant que sa Volkswagen bourdonnante achevait sa montée et que la cité du désert s'étendait devant lui.
Cette ville, à la différence de sa proche voisine, Las Vegas, ne donnait pas plus dans la finesse qu'une chambre de commerce. L'endroit existait pour une seule et unique raison : fournir à des groupes d'entreprises un moyen commode pour tondre les pigeons. "Il y a un pigeon qui naît chaque minute," avait déclaré P.T. Barnum au siècle dernier. "Larry a mis trois fois plus de temps que les autres pour naître, ce sale petit pigeon !" avait souvent répété sa mère à ses sympathiques amies ce siècle-ci.
"Bienvenue à Lost Wages !" pouvait-on lire aux limites de la ville que la Coccinelle de Larry venait de franchir en bourdonnant. Larry savait que pas mal de gens étaient venus à Lost Wages en voiture et était repartis en bus ou en train. C'était des imbéciles, voilà ce qu'il en pensait ! Ils étaient venus là pour jouer et ils avaient tout perdu. Il était bien plus futé; lui, il n'était là que pour les nanas. Ouais. Il n'allait pas gaspiller une minute de son temps sur des machines à sous ou aux tables de blackjack. Non monsieur.
Bon ... Peut-être un tout petit peu. Il était juste un peu court en liquide. En fait, il avait dépensé ses derniers dix dollars en essence et dans un spray pour l'haleine une centaine de kilomètres plus tôt. Il était lessivé et sa carte de crédit venait d'expirer. Un peu de liquide pour impressionner ces dames c'était nécessaire. Son premier business, conclut Larry en pénétrant dans les faubourgs, ça allait être de se refaire. Juste quelques milliers. Pas plus. Inutile de se montrer trop gourmand.
Il passa devant une autre affiche. Celle-là faisait de la publicité pour la grande boîte de taxis du centre. "Pas besoin de marcher ! Prenez nos taxis : ils sont pas chers, propres et luxueux!" Un chauffeur avec un sourire de circonstance chaud et amical, accoudé à la fenêtre d'un taxi dernier modèle et reluisant illustrait le slogan de sa photo. P.T. Barnum aurait apprécié : "Idéal pour faire une belle sortie, pour sûr !" aurait-il rigolé dans sa barbe. Toutes ces subtilités, pourtant, passaient largement au-dessus de la tête de Larry. Il pensait que le mot "nuance" désignait une sorte de parfum ou qu'il s'appliquait aux gens ivres. C'est pourquoi il prit cette affiche au premier degré et s'imagina que c'était la solution à ses problèmes de transport.
L'enseigne d'une agence de voitures d'occasion attira son attention. C'était un endroit minable qui avait l'air de végéter depuis des années, mais au moins la pancarte "ouvert" était toujours derrière la vitre du petit cabanon rouillé qui servait de bureau. "A-1 Voitures Honnêtement Usagées." C'était exactement ce qu'il avait, une voiture d'occasion honnêtement usagée. Larry avait toujours tendance à croire tout ce qu'il lisait.
Bon, il ne faut pas toujours se fier à l'apparence, décida-t-il, sûr qu'il allait faire une bonne affaire comme l'affirmait la publicité. Puisque Lost Wages disposait de ce fantastique service de taxis, il n'avait plus besoin de voiture. Il allait vendre la sienne, placerait l'argent sur les tables de jeux et se constituerait un vrai pécule qu'il ferait fructifier dans une banque. Simple, non !
Il mit son clignotant, entra sur le parking et se gara devant le bureau. Il poussa la porte qui grinçait et vit un homme, les pieds posés sur un bureau poussiéreux, regardant derrière lui sans grande marque d'intérêt.
"Les affaires tournent au ralenti, hein?" dit Larry.
"Pas plus que ça, mec," répondit l'homme. À contrecœur, il retira ses pieds du bureau, en fit le tour et s'approcha de Larry en lui tendant la main. "Je suis Honest Tricky Dick ; c'est moi le patron. Que puis-je pour vous ?"
Larry se gratta la tête. Il s'interrogea un instant sur le nom de Honest Tricky Dick (Honnête et rusé), puis il se lança dans la transaction. "J'ai cette superbe voiture, une véritable pièce de collection..." commença-t-il. Honest Tricky Dick regarda par la fenêtre. "Où ça ? Tout ce que je vois c'est une Volkswagen qui a l'air plutôt mal en point. Joli, pourtant, ce truc : la peinture rouge cache bien la rouille. Hé, hé." "C'est un classique," dit Larry qui cherchait désespérément à se rappeler le jargon qu'on utilisait pour les voitures d'occasion. "Une véritable affaire. Presque comme neuve. À peine servie. État d'origine. Jetez-y un oeil" "Ouais, ouais," dit Honest Tricky Dick pas du tout impressionné. On dirait un modèle 70 ou 71, hein? Ok, l'argent de toute façon n'est pas à moi alors je vais l'acheter." Il secoua la tête, dégoûté. "On doit pas être du bon côté de Lost Wages ici. Hé. Hé. Tout le monde veut vendre quelque chose et jamais personne n'achète rien." "Alors," dit Larry qui se voyait déjà avec plusieurs centaines de grosses coupures dans les poches, "comment vous faites pour tenir le coup ?" "J'ai un contrat avec Sierra On-Line, vous savez, ceux qui s'occupent de jeux pour les ordinateurs. Ils achètent mes reprises en gros, " dit Honest Tricky Dick. "Ils utilisent ces tacots dans des jeux comme Police Quest. Avec ces nouveaux graphismes en VGA, vous pouvez même faire qu'une vraie poubelle paraisse bonne. Ça permet aux producteurs de faire pas mal d'économies. Hé. Hé."
Larry soupira. Ce rire stupide commençait à l'agacer. Pourquoi est-ce qu'il avait l'impression de l'avoir déjà entendu des centaines de fois ici, à Lost Wages ? "Ouais, bon combien vous me donnez pour ma jolie petite Coccinelle d'époque ?" demanda-t-il. "94 dollars," dit Honest Tricky Dick. "A prendre ou à laisser, et je vous dépose dans le centre." Bon, Larry marchanda comme un beau diable mais Honest Tricky Dick campa sur ses positions. Larry finit par accepter et Honest Tricky Dick le véhicula jusqu'au centre.
Ils étaient arrivés dans un quartier assez minable. Des ordures jonchaient les rues et les chiens en liberté avaient marqué leurs territoires avec de glorieux abandons. "Qu'est-ce que vous venez chercher ?" demanda Honest Tricky Dick. "Des femmes, des nanas, des petites poulettes."
"Impec, je vous trouve ça." Il s'arrêta. "Bon, ici c'est le meilleur endroit pour ça. Hé, hé. J'y viens moi-même assez souvent. N'entrez pas dans la ruelle sombre là -bas." "Merci," dit Larry et il descendit. Il regarda la rue. Il y avait un bar. "Chez Lefty," indiquait le panneau au-dessus de la porte.
Honest Tricky Dick s'éloigna ; Larry fit l'inventaire de ses poches. Un portefeuille usé contenant 94$, un spray pour rafraîchir l'haleine qui n'avait pas encore servi et une montre-bracelet. C'était tout ce qu'il possédait, en plus de son fantastique costard blanc, une priorité majeure pour la drague.
"Stayin' alive, stayin' alive," chantait-il. En voyant un petit chien s'approcher - on pouvait lire son envie dans ses yeux - il décida d'entrer dans le bar pour débuter l'aventure.
"Hé, va voir plus loin, toi," dit-il parce que le chien, toujours aussi déterminé à lever la patte, se rapprochait encore. Il accéléra l'allure et poussa brusquement la porte du bar (et comment espérez-vous qu'il ait pu l'ouvrir autrement).
Tout le reste, comme on dit, n'est que légende.